Événements
events Research through design is a notion that gained presence in design discussions in the mid-aughts after a few influential papers by Jodi Forlizzi and John Zimmerman of Carnegie Mellon University and Erik Stolterman of Indiana University. The notion had been introduced by Christopher Frayling of the Royal College of Art in 1993 as a remark in a small paper that suggested it as a way to conduct research in a way that would be interesting to designers. It had its virtues. Above all, helped to make research interesting to designers, and it gave them a way to understand how design can create knowledge. Yet, it was confusing and hard to understand, as this presentation will illustrate. This was the case with other suggestions too, including British and Dutch notions like funology and doing research by doing design, and Donald Schon’s notion of the reflective practitioner that lacked precision,
In the context of these debates, I wanted to clarify to my students how designers can create knowledge. I wrapped up my work in Design Research through Practice, a book I published in 2011 with Stephan Wensveen, Johan Redström, Thomas Binder and John Zimmerman. This book contextualized the debate and suggested that there were three main ways in which design can contribute to knowledge. The first we called “the lab,” akin to experimental scientific methods with roots mostly in design engineering. The second we called “the field,” akin to ethnography but with roots mostly in participatory design, Silicon Valley, and IT industry. The third we called “the showroom,” with roots mostly in Italian radical design of the sixties, but also in critical design of Anthony Dunne and Fiona Raby. Each one of these three approaches has led to research programs that have expanded the field of design.
It is fair to say that this book and the debates it was a part of have shaped discussions about design research across the globe, and probably in a positive way – they have given designers tools to articulate their approach to design. These tools are more nuanced than the notions that preceded it, and they have so far avoided the pitfalls of previous efforts to introduce research into the design world.
Research never sleeps, however. This talk returns to the debate that gave rise to this book, currently under revision, and recontextualizes it to our current design (research) environment characterized by introspective approaches to design, systemic design, design fiction, critique of humanism, and most recently by GenAI – among other things.
I believe the debates of the nineties and the aughts provide us with tools to see these discussions as useful extensions rather than as alternatives or challenges, and I will conclude with a positive note: in less than 30 years, the design community has found ways for conduct design research in ways that feel right to designers. Research, in turn, has also learned to contribute to design practice by giving it tools for expansion and for understanding better its contribution to society and increasingly to nature.
2025-06-05 18:00:00 +0200 CEST
Événement
05 juin 2025
Research through Design – yes but how?events Cette intervention s’attache à rendre compte d’une pratique de terrain dans le cadre d’une recherche en design menée durant 3 ans au sein d’une industrie de la métallurgie (menée au sein d’une thèse CIFRE). Elle détaille les manières d’entrer en correspondances avec un terrain considéré comme « peu propice au design » et comment ces manières ont nourrit directement les contributions de cette thèse sur les modalités de collaborations entre design et ingénierie. En filigrane, il s’agit de montrer l’importance de construire des méthodologies situées et adaptées pour nourrir une pratique de design inscrit dans une volonté de recherche.
2025-05-15 18:00:00 +0200 CEST
Événement
15 mai 2025
Faire terrain : le design comme pratique située de rechercheevents Aujourd’hui, la recherche-création est en plein essor, au point qu’elle dépasse même les frontières des arts et des arts appliqués. Mais comment la développer dans le champ académique, tout en garantissant sa qualité artistique et sa reconnaissance professionnelle, en premier lieu dans le monde de l’art et du design ? Elle doit permettre la création d’œuvres pertinentes tout en produisant de nouvelles connaissances qui n’auraient pu advenir autrement. Fondée sur la pratique, par et pour la pratique, cette recherche est construite autant par la réflexivité que par une volonté de partage, non seulement des résultats, mais surtout des moyens mis en œuvre : l’“instrumentarium” artistique ainsi expérimenté et développé. Cette approche, que l’on pourrait qualifier d’“organologique” ou même d’“organogénétique”, est, sans conteste, l’un des fondements de la recherche-création menée à EnsadLab, le plus souvent dans une dynamique pluridisciplinaire impliquant sciences expérimentales et sciences de l’ingénieur. La place de choix qui est donné aux moyens expérimentés et mis en œuvre, aux techniques, comme art de faire, implique des formes méthodologiques et organisationnelles permettant un équilibre pertinent entre dynamique collective et engagement d’une autorité individuelle.
S’il est ainsi possible de poser les bases de la recherche artistique, il est également nécessaire de se demander comment l’évaluer et la partager afin de construire des communautés de pratique et, au-delà, de toucher les publics. Comment publier de telles recherches ?
“Publier ou périr !” est l’adage dans le monde de la recherche académique. Mais “publier”, c’est d’abord rendre public. Si l’écriture peut poser problème aux artistes, ces derniers, contrairement aux scientifiques, disposent de puissants “médiums” pour faire connaître leur travail : expositions, performances vivantes, objets de design, diffusion de productions médiatiques, etc. La publication académique s’envisage principalement sous la forme d’écrits - souvent illustrés - dans des revues spécialisées. Entre ces formes académiques de publication et de rencontres artistiques avec le public, est-il possible d’ouvrir de nouvelles voies répondant à la fois aux exigences académiques et artistiques ? Ces formes hybrides de publication, en s’appuyant autant sur l’expérience sensible que sur la transmission des savoirs, pourraient-elles permettre de s’adresser à la fois aux experts et à un public beaucoup plus large ? Qui plus est, ces nouveaux formats pourraient-ils contribuer à mobiliser et impliquer leurs publics ?
Pour tenter d’apporter des réponses concrètes à ces questions, il semble pertinent et productif d’explorer des voies alternatives, en hybridant formats académiques et formes artistiques.
Pour présenter cette approche organologique de la recherche-création comme cette démarche de publicisation, Samuel Bianchini s’appuiera sur de nombreux exemples menés ces dix derniers années, avant de présenter brièvement la nouvelle revue .able qui participe de ce renouvellement des modes de publication à partir de la recherche-création.
2025-04-24 18:00:00 +0200 CEST
Événement
24 avr. 2025
Recherche-création : de la pratique réflexive à la publicisationevents Design practice always happens under a particular set of forces or conditions, commonly known as constraints. These constraints may be straightforward and indisputable, such as a physical or material quality—the force of gravity or the tensile strength of a structural beam. They can be the subject of discussion and compromise, such as a financial cost or a timeline. They can relate to aesthetic or cultural considerations, such as a fashion trend or social movement. Constraints of this basic type influence the design process by providing tangible limits that can be adhered to or challenged.
But constraints also exist in more covert, abstract or oblique forms, such as national infrastructure systems like energy grids. These become so normalised that they force designers to simply design for or within the dominant paradigm. Myths of progress act to reduce the technological future to recycled utopian imaginaries that maintain the status quo and divert attention from its fundamental flaws, and constraints imposed by design’s economic relationship with the market encourage, among other things, questionable approaches to resources, labour, distribution and repair.
This presentation will firstly explore some of the more dominant oblique constraints and the ways in which they negatively influence the role and purpose of design. The second part will describe the approach of Reconstrained Design, which takes the identified constraints and develops ways to reverse, work around or simply ignore them. This expands the potential of the design and the designer’s ability to radically rethink modes of practice.
2025-04-10 18:00:00 +0200 CEST
Événement
10 avr. 2025
Reconstrained designevents Cette conférence explore la participation en architecture en analysant comment elle peut être intégrée dans le processus de conception . En nous appuyant sur un projet de rénovation de logements sociaux en difficulté, la véritable profondeur de cette participation sera examinée à l’aide d’un indice développé pour évaluer le rôle effectif des différents types d’acteurs dans ces processus. L’intervention mettra en évidence l’écart entre la participation prescrite et la participation expérientielle et discutera des questions méthodologiques pertinentes pour l’analyse des interactions entre les concepteurs et les usagers dans ces processus.
2025-04-03 18:00:00 +0200 CEST
Événement
03 avr. 2025
Conception avec usagers en architecture : vers un indice de profondeur de participationevents Le séminaire de méthodologie « Pratiques de recherche en design et création » est co-animé par le laboratoire Dicen-IDF et la chaire Design Jean Prouvé du Cnam. Principalement dédié aux étudiants en master, aux jeunes chercheurs, doctorant·e·s ou aspirants à le devenir, il invite les membres des communautés de recherche liées aux domaines du design et de la création à contribuer ensemble à une meilleure compréhension des enjeux méthodologiques en recherche comme lieu d’exploration, de discussion et de dissémination des idées et des connaissances.
La recherche en design et création reste un champ récent qui continue à se structurer. On y trouve des approches complémentaires qui parfois se chevauchent dans les programmes de recherche. Certaines s’inscrivent dans une tradition de recherche académique bien établie, prenant le design comme objet d’étude pour en comprendre sa nature, son fonctionnement, et son inscription socio-historique. D’autres s’inscrivent dans un mode de recherche appliquée, pour formaliser des méthodes et des outils contribuant à l’amélioration des pratiques du design. D’autres encore, plus récentes, utilisent la pratique du design comme approche de création et de discussion de nouvelles connaissances.
Chaque session annuelle sera composée de quatre ou cinq interventions présentant les travaux d’acteur·rice·s de la recherche en design et création, à l’aune de leurs méthodes et approches. Certaines interventions pourront être en anglais, dans quel cas elles seront par la suite retranscrites en français. Le séminaire est ouvert à tout public. Une captation sera réalisée pour une mise en ligne après accord des intervenants.
Ce séminaire s’inscrit dans l’UE DSN201 du Cnam. Les apprenants inscrits à ce cours seront accompagnés au travers de ce séminaire et de moments supplémentaires d’enseignements et de travaux pratiques pour la mise en place d’un projet de recherche. Cet enseignement est intégré à plusieurs masters et certificats de spécialisation et peut être également suivi sur demande ou dans le cadre de l’école doctorale Abbé Grégoire.
2025-01-28 10:04:12 +0200 +0200
Événement
28 janv. 2025
Séminaire de méthodologie Pratiques de recherche en design et créationevents Au sein de l’École Estienne, SEMPER* constitue un espace d’intersection et de réflexion commun aux quatre parcours de formation en DSAA. Le séminaire, initié par Jérôme Duwa, Olivier Moulin et Carole Papion invite à réfléchir et à mettre en valeur ce qui se constitue comme recherche en design dans le milieu qui est le nôtre à l’École Estienne : expériences en imprimerie, dans les métiers d’art, dans les domaines du graphisme, de l’illustration, de la création numérique, de la typographie et de la stratégie de communication.
Manuel ZACKLAD (Prof. CNAM) et Pierre LÉVY (Prof. CNAM) ont dialogué au sujet du design et des sciences humaines pour la conférence inaugurale de SEMPER, présentée par Jérôme Duwa (École Estienne), le jeudi 26 septembre 2024.
2024-09-26 16:00:00 +0200 CEST
Événement
26 sept. 2024
Le design est-il une science humaine ?events Ce séminaire vise à lancer la troisième session de l’école du non-savoir. La première a débuté en septembre 2022 à l’Institut français de Milan et a abouti sous la forme d’une première exposition au même endroit en janvier 2024. Durant la seconde phase, l’exposition d’une centaine de panneaux a circulé à Florence et à Rome. De nouvelles écoles ont rejoint le projet initial en ajoutant de nouveaux visuels. Cet ensemble sera présenté à Porto dans le cadre de la Biennale du design à partir du 21 octobre 2023, avec le soutien de l’Institut français du Portugal.
La troisième phase s’organise sur la base d’une trentaine d’écoles et d’universités, venant de France, d’Italie, du Portugal, d’Allemagne, de Pologne, d’Inde et de Madagascar.
Le séminaire du Cnam entamera la phase de conception. Il permettra aux participants de mieux comprendre le projet et ses acteurs, et surtout de commencer, à travers des exemples et des exercices, à se confronter à cette difficile transformation qui consiste à accepter que ce que l’on ne connaît pas a une réelle valeur, un intérêt qui mérite d’être exploré. Au cours de cette phase, des tentatives de narration pédagogique seront également initiées, qui consisteront à enregistrer l’explication d’un spécialiste à partir des panneaux réalisés. C’est également au Cnam que cette phase sera finalisée par une nouvelle exposition qui aura lieu les 1er et 2 février 2024. Le projet se poursuivra ensuite pour de nouvelles phases qui seront également présentées lors du séminaire.
2023-10-16 14:00:00 +0200 CEST
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16 oct. 2023
Séminaire de l'école du non-savoirevents 2023-02-27 18:00:00 +0200 +0200
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27 févr. 2023
L'irrégularité, une opportunité sociétaleevents 2022-09-16 09:30:52 +0200 CEST
Événement
16 sept. 2022
La beauté du motif japonaisevents Le moment du design Leçon inaugurale de la Chaire de Design Jean Prouvé, 18 mai 2022
Merci Ruedi pour cette introduction chaleureuse. Ton parrainage de la chaire ne peut être qu’un bon présage pour ce qu’elle peut et va devenir.
Cher administrateur général, cher Marc, cher Jean-Claude, chers collègues, chers amis, chère famille, chers auditeurs présents ici ou quelque part en ligne, c’est un grand plaisir de pouvoir débuter cette leçon inaugurale aujourd’hui au CNAM.
Nous avons décidé, Lucie et moi, de faire nos leçons inaugurales ensemble, car il nous a semblé opportun de souligner la proximité et la complémentarité de nos sujets et de nos façons de faire, et de célébrer ce que le CNAM est pour tous : un lieu d’apprentissage et de développement, et aussi un lieu d’échange et de partage interdisciplinaire et intermétiers.
Cela impose également que nos leçons soient chacune d’une quarantaine de minutes chacune, afin que tout cela reste une célébration et un moment agréable, et que ça ne devienne pas un supplice pour vous.
Alors commençons tout de suite.
1. Jean Prouvé // où le design s’inscrit dans un historique sur le matériau, le faire, la société et l’attachement au quotidien
C’est un événement pour une chaire de design et un honneur pour son titulaire que le nom de Jean Prouvé y soit associé. Et je voudrais particulièrement remercier Mme Catherine Prouvé, pour sa présence aujourd’hui et pour son aide précieuse afin que cette association soit devenue une réalité.
Cette association s’inscrit bien sûr dans la filiation des chaires au sein de CNAM – et en particulier entre la Chaire d’arts appliqués aux métiers dont Jean Prouvé a été titulaire de 1958 à 1971 et celle de design Jean Prouvé qui démarre symboliquement aujourd’hui. Mais cette association joue également le rôle de médiation, permettant un moment de dialogue et de revendication sur ce qu’entend être la Chaire de design Jean Prouvé.
Je propose donc dans cette première partie de discuter de cette filiation, non dans une perspective historique, mais plutôt pour y trouver une inspiration de ce que peut être une Chaire de design au CNAM aujourd’hui, dans la société actuelle, avec ses propres défis sociaux, économiques, technologiques, et bien sûr écologiques. Au lieu de regarder dans le rétroviseur trop longtemps, il nous faut surtout voir cette filiation comme un moyen de regarder devant, et de nous aider à réfléchir sur ce qu’il y a à faire ici et maintenant en vue d’un futur qu’il nous faut encore imaginer et fabriquer.
1.1 Un parcours À mes yeux Jean Prouvé incarne un positionnement essentiel du design. Jean Prouvé a été ferronnier d’art, ingénieur (autodidacte), designer (autodidacte), architecte (autodidacte), résistant, acteur du programme de reconstruction français d’après-guerre, maire de Nancy, associé à l’Abbé Pierre pour la création d’une Maison des jours meilleurs. Venant de la ferronnerie traditionnelle, il a contribué à poser un regard moderne sur les matériaux, sur les formes et sur les usages. Son attachement à une conception pour l’usage et à destination de tous, et en particulier des plus modestes, en fait un acteur important d’après-guerre pas uniquement pour le monde de l’architecture et du design, mais pour la société dans son ensemble.
Et à ce titre, Jean Prouvé place le design là où on le veut : un acteur sociétal, producteur de propositions ingénieuses d’arrangements matériels dont la valeur émerge de leur utilisation et de leur potentialité de transformation. En d’autres termes, la valeur est à chercher du côté de l’appropriation des propositions du designer et de leurs conséquences pour la société.
Il s’agit donc de travailler sur ce que j’appelle la « contexture » des environnements dans lesquels nous évoluons, c’est-à-dire sur leur forme et leur texture. Je reviendrai plus tard de cette notion de contexture développée au cours de ma recherche.
1.2 Le faire, la réflexion, et la vision Par ailleurs, l’historien de l’art, architecte et sociologue Nils Peters, qui a réalisé une biographie sur Jean Prouvé1, nous rappelle que durant ses cours au CNAM, « Jean Prouvé n’était pas bavard, et préférait dessiner et visualiser ses idées sur le tableau noir. Ce qu’il montrait par ceci, fidèle à ses convictions, est que la pratique des théories était primordiale et que la connaissance acquise seulement académiquement ne pourrait guère inspirer de la créativité ». Il en va donc d’une attitude à l’égard de la relation entre la pratique et la théorie dans le domaine de la conception au sens large : celle d’étudier, de comprendre, et d’impliquer les évolutions scientifiques, technologiques, sociales, écologiques, et de leur trouver place dans la société au sein du quotidien de tous et de chacun.
Le design se présente donc comme une pratique et une attitude, interrogeant les mondes possibles, afin, comme nous le propose les politologues Trevor Hancock et Clement Bezold2 d’avancer vers des mondes préférables. Le design n’est donc pas qu’une histoire de création d’artefacts, une offre marchande de trucs. Travailler ces futurs au travers du design demande que la pratique s’accompagne d’une réflexion sociétale, politique, éthique, écologique et que cette réflexion ait lieu en action, c’est-à-dire au cœur même de la pratique du design.
Et là se trouve le premier aspect pour lequel la chaire de design se revendique dans la continuité de Jean Prouvé : une attitude à la croisée du faire, de la réflexion, et de la vision.
1.3 Au quotidien Cet attachement à l’exploration et à la compréhension puissante du matériau, de la technique et de l’esthétique qui peut s’en dégager sont au fondement de l’excellence de l’œuvre de Jean Prouvé, et résonnent avec l’école de Nancy qui s’efforce de revitaliser l’art, et de faire en sorte que la vie quotidienne en soit imprégnée.
Cet environnement — ce que je nommerai plus tard cette tradition — a probablement contribué à faire de Jean Prouvé artisan d’art un Jean Prouvé explorateur de nouveaux matériaux et de nouveaux projets, avec une sensibilité forte pour le quotidien et une attention particulière apportée à la dimension sociétale de son art. Ce que l’architecte Jean Nouvel note aussi lorsqu’il dit, parlant de Jean Prouvé, que « rarement l’éthique a créé une beauté aussi claire »1.
1.4 Une posture sociétale Le design donc est une pratique, une attitude et une posture sociétale :
celles d’abord de progresser dans l’incertitude, car le design est souvent dans une situation risquée où il doit agir en n’ayant qu’une information partielle ou approximative de son sujet ; celles ensuite de mener sans cesse une pratique réflexive pour continuer à s’ouvrir sur de nouveaux possibles ; et celles enfin qui font force de proposition pour une société et un quotidien, avec l’ambition qu’ils soient bienveillants pour chacun. Et là se trouve le deuxième aspect pour lequel cette chaire de design se revendique dans la continuité de Jean Prouvé : l’ambition que le design et les métiers d’arts soient à la fois des pratiques, une attitude et une posture sociétale au service de la transformation du quotidien de tous.
2. Le design // où le design est une attitude et une activité située et construite sur des ambivalences
Nous avons donc établi la posture sociétale visée par le design, ou du moins visé par la chaire au travers de ses activités à venir. Mais la question du design reste entière, et même si la route est par expérience semée de nombreuses embûches, empruntons-là, au moins un peu.
2.1 Ce que fait le design En effet, la définition du design a toujours été une problématique difficile – une longue histoire de discussions intenses et de conclusions ratées – et donc une question jusqu’ici insatisfaite. Un article récemment écrit par la professeure en design Alethea Blackler et ses collègues3 fait état de vingt ans de discussions mondiales sur la définition du design sans véritable résultat consolidé. Par une stratégie assez populaire de nos jours, les auteurs nous invitent alors à réfléchir plutôt sur « l’importance du rôle du design dans la conversation mondiale sur les approches transdisciplinaires de la recherche et de la conception des scénarios futurs et des voies émergentes pour l’humanité ».
Cette approche n’est à mon avis en rien satisfaisante, car encore une fois elle se détourne de la question du design. Or si à défaut de ne pouvoir déterminer ce qu’est le design, et sachant qu’il est au moins une pratique, une attitude et une posture, alors l’effort de clarification devrait se tourner vers ce que fait le design.
2.2 Le design est situé Cela peut partir d’un principe essentiel du design : celui de sa situation. J’entends par là que le design est situé : il trouve sa pertinence grâce à ce qu’il peut proposer comme arrangements potentiellement transformant. En d’autres termes, le design se perd et ne peut, ni même ne sait agir dans l’abstrait. C’est ici-bas, là où le vécu se déroule, là où le design se frotte à la matière, se cogne à l’expérience, que le design agit et établit sa pratique. Alors gardons cela en mémoire : le design est situé.
2.3 Le design est coloré Je reprends également avec intérêt la remarque formulée par le philosophe du design Johan Redström4, qui montre que le design est fondamentalement et historiquement structuré sur des dichotomies. Nous nous intéressons particulièrement aux relations dichotomiques entre méthodes et pratiques, entre quotidien et enjeux globaux, entre arts et industrie, pour n’en citer que quelques-uns. Ces dichotomies sont des lieux de frictions, ce que je nomme en m’inspirant des écrits du penseur japonais Yanagi Soetsu des irrégularités5,6, et je reviendrai plus tard sur cette notion, qui invite le design à questionner en permanence son positionnement et son action.
La pratique du design est donc fondamentalement réflexive. Comme pratique située dans un contexte complexe, cette réflexion portant – comme nous l’avons déjà vu – sur ce qu’il fait, le design ne trouve pas non plus de réponse définitive. Cette réponse est toujours changeante. En cela, le design est insaisissable. Autrement dit, et en complétant les propos de Johan Redström par ceux que j’ai proposés avec les professeures Ambra Trotto et Caroline Hummels, et nos collègues au travers des Pratiques Transformatives7, il est complexe et coloré, c’est-à-dire riche de sa variété de pratiques ; il est résilient et apprenant, engagé et transformant.
2.4 L’attitude Dans sa pratique, le designer engage des savoirs, des savoir-faire, et une attitude. Dans cet engagement, il lui importe d’effectuer un travail de qualité comme fin en soi – c’est ce que nous indique le sociologue Richard Sennett8. Il lui importe de faire appel et avoir confiance en ses sens et son imagination, en son intuition et sa curiosité – c’est ce que nous rappelle le professeur en design Kees Overbeeke9. Il lui importe finalement de faire appel à ses compétences et ses connaissances soit pour faire (c’est-à-dire travailler et dialoguer avec la matière), soit pour penser (c’est-à-dire travailler et dialoguer avec des idées).
2.5 L’instabilité durable Plongé dans les pratiques tel qu’elles sont vécues et tel qu’elles se réalisent, le design s’intéresse et se situe de plus dans un monde complexe. Il fait, questionne, réfléchit, ouvre vers des possibles, sans jamais mettre de côté l’ambiguïté et l’incertain… ce qui lui résiste en somme, le monde tel qu’il est vécu.
Il avance, et progresse donc dans une forme d’équilibre qui n’est en fait qu’apparente. Elle est formée par une multitude de déséquilibres temporaires. Caroline Hummels et moi-même avons nommé cela l’instabilité durable du design, qui qualifie donc la dynamique dans laquelle le design travaille. Les déséquilibres sont des moments de changements potentiels de la pratique : les réflexions en action et sur l’action permettent le changement, nécessaire pour maintenir une cohérence dans la pratique, nécessaire à l’apprentissage et au développement se faisant au travers de la pratique10.
Il apparaît donc pertinent de faire appel à la phénoménologie, et plus généralement aux philosophies que l’on rassemble autour de la notion d’embodiment. Pour être bref, ces philosophies montrent que nous percevons le monde en interagissant avec lui. Cette perception, fondamentalement active, nécessite un corps et des compétences. Nous percevons le monde par la potentialité de nos actions (ce que l’on peut faire), et en interagissant avec lui (par ce que l’on fait). Il y a donc une primauté du corps sur l’action, et une primauté de l’action, ou du moins du potentiel d’action sur la cognition, ce qui n’évacue en rien l’importance de la symbolique dans l’expérience humaine (aux niveaux esthétiques, sociaux et culturels).
2.6 L’anthropologie symétrique Voilà, de façon synthétique, nous avons donc vu que le design est une pratique dont la perspective est à la fois individuelle et collective, sociale et politique, transformatrice et virtuose de la complexité et des normes.
Il questionne comment les arrangements matériels qu’il propose peuvent transformer les pratiques, celles des autres et la sienne, et dans un mouvement complémentaire comment ces pratiques sont le moment11 d’une appropriation des propositions faites par le design.
Le design est alors porteur de sens venant potentiellement modifier le contexte dans lequel les personnes et les pratiques évoluent. Il est donc une médiation rendant possible la transformation, en donnant à l’action et à son acteur la possibilité de discerner et de penser sa condition et ses possibles, qu’il s’agira par la suite de sélectionner et d’approprier.
En design, il est donc question de ce que nous pouvons faire de nos environnements personnels, sociaux, écologiques… et de ce que ces environnements font de nous. Une forme d’anthropologie symétrique.
On se pose donc ici la question de l’esthétique et de l’éthique des contextes dans lesquels nous vivons et dans lesquels les pratiques performent. C’est ce que j’ai nommé dans mon travail d’HDR la contexture, la texture du contexte de nos pratiques5, qui permet la transformation de ces pratiques au travers de la médiation du design.
3 Une perspective // où la tradition, l’irrégularité et le moment viennent structurer un design sociétal
Le paysage du design ainsi décrit, il me semble maintenant important d’avancer dans cette leçon en positionnant la chaire et son travail dans ce paysage.
Pour cela, nous devons prendre parti, c’est-à-dire que nous devons structurer et formuler une approche et une perspective à partir desquelles nous travaillerons. Et c’est principalement de la perspective que je propose pour la chaire que je vais maintenant développer.
3.1 Les métiers d’art 3.1.1 Le maniement Pour commencer, il faut souligner la proximité du design aux métiers d’art. Déjà certes de façon institutionnelle – ce qui est le cas particulièrement ici dans la relation étroite construite entre le cnam et les lycées et les écoles des métiers d’arts et du design –, mais également parce qu’ils sont tous les deux socialement situés et engagés pour la proposition d’un beau à valeur sociétale au travers de l’usage et de l’utile.
Et il faut en effet rappeler brièvement que la contemplation des œuvres produites par les métiers d’art n’est pas suffisante pour les apprécier. C’est au travers de leur maniement que leur matérialité s’exprime et se dévoile. C’est au travers de leur maniement que leur utilité et leur valeur prennent sens. Tout comme pour le design, c’est donc au travers de leur maniement que leur esthétique se découvre pleinement.
Si les métiers d’art ont un rôle social en tant qu’œuvres12, c’est bien que cette matérialisation du beau au travers de l’utile et du durable a une pertinence sociétale et écologique, ce dont notre époque a bien besoin.
3.1.2 La qualité À côté de cela, le développement de l’industrie, c’est-à-dire de la production segmentée, mécanique et informationnelle, laquelle a permis un développement et des innovations impressionnantes au cours des derniers siècles – et le CNAM en est riche d’exemples et d’expériences –, lance également un défi à la production des arts appliqués et à l’importance de la qualité et de l’œuvre dans le quotidien.
Et ne nous y trompons pas, l’industrie est nécessaire pour servir une population qui continue de s’accroitre (cher Ruedi, ne discutons-nous pas de 10 milliards d’humains13!). Et c’est le rôle du concepteur (qui dans l’imaginaire peut-être un ingénieur ou un designer, et qui dans la réalité est un groupe multidisciplinaire, multiculturel, multimétier de personnes qui ensemble conçoivent et produisent) de projeter des propositions pour aller vers un monde préférable. Et dans ce souhait, la qualité de l’arrangement matériel proposé ne peut être absente. Raisonnons par l’absurde et nous verrons rapidement l’absurdité d’un monde qui douterait de la nécessité du beau.
Il revient donc aux artisans d’art, aux designers et aux ingénieurs, de non seulement garder le geste et la tradition qui permettent une création de qualité, mais aussi de renforcer celle produite par la machine. Que la fabrication profite des compétences, de la sensibilité, de l’attitude de l’artisan d’art afin d’améliorer la machine, son utilisation, et ses livrables ! Il revient alors à l’artisan d’art de ne pas se distancier de la production industrielle, mais bien au contraire, et je pense à l’instar de Jean Prouvé, de contribuer à son usage afin d’améliorer à la fois le métier qui intègre la machine dans sa pratique et la qualité de ce qu’elle produit. Et nous verrons plus tard l’exemple du designer textile Minagawa Akira qui illustre magnifiquement cette situation.
Pour avancer, je vais porter notre regard sur trois aspects relatifs et communs aux métiers d’art et au design, dont j’ai déjà parlé, et qui me semblent fondamentaux pour la structure et la conduite de la chaire : la tradition, l’irrégularité, et le moment.
3.2 La tradition Il faut bien être conscient que les métiers d’arts fabriquent des objets de très grande qualité parce que l’exigence du métier le demande et parce que son environnement le permet.
3.2.1 L’exigence L’exigence de la profession le demande, car celle-ci est sensible à la beauté de l’œuvre et de son maniement, et en revendique l’importance. Elle reconnaît le talent, bien sûr, mais n’en demande pas moins une attitude.
3.2.2 L’environnement Son environnement le permet, car c’est lui qui porte la tradition dans laquelle s’inscrit le métier d’arts. La notion de tradition que j’utilise ici est directement inspirée des écrits du penseur japonais Yanagi Soetsu, qui le décrit comme un environnement constitué d’une culture, d’une dynamique collective, et d’une vitalité centrée sur un savoir-faire. Une tradition n’est en rien statique. Bien au contraire elle se nourrit de ses expériences et des quotidiens individuels pour continuer à faire évoluer la collectivité.
Pour revenir au métier d’art, même si son exécution est parfois individuelle et que celui-ci trouve une certaine liberté d’action et de création dans son atelier, la pratique au sens large, elle, est plongée dans un environnement culturel et socio-économique qui lui permet d’exceller. Le métier d’art trouve sa force et son excellence parce qu’il s’inscrit dans une tradition.
Yanagi14 nous apprend justement que la beauté et la grandeur produites des mains de l’artisan d’art ne sont pas du simple fait de ses propres compétences (le pouvoir individuel), mais aussi de ce que son environnement lui apporte (le pouvoir au-delà [de la maîtrise individuelle]).
3.3 L’irrégularité Avant de continuer, je voudrais faire une petite parenthèse sur la philosophie japonaise, qui s’est développée à la croisée de la pensée bouddhique et de la phénoménologie15. Ayant passé environ 10 ans dans ce beau pays qu’est le Japon, dont mes années de recherche doctorale, cette philosophie, ainsi que la pensée japonaise en général, m’a beaucoup inspiré et aidé à réfléchir sur notre relation affective au monde tel qu’il est vécu, et sur l’expérience de la beauté dans les pratiques du quotidien. Les références à la littérature japonaise que je vais citer ici sont donc fondamentales dans la construction de ma réflexion sur le design et sur le quotidien.
Pour projeter cette parenthèse au-delà de ma propre expérience, j’espère pouvoir donner ici une nouvelle dimension à la coloration du design. Rappelons-nous le design est coloré, riche d’une grande variété de pratiques. Il est également riche d’une grande variété de cultures, ce qui se reflète mal dans la littérature et le discours du design actuel, très teintés de culture occidentale. Opérer un décentrage culturel du design, par son exposition à des visions du monde basées sur d’autres pensées et cultures, peut permettre un élargissement de la vision du monde par lequel le design opère. Ce positionnement manifestement post-colonial envisage la formation de perspectives et d’approches plus pertinentes pour des sujets auxquels le design peut contribuer de façon effective. Il va sans dire que la chaire soutiendra cet effort d’enrichissement culturel du design, bien au-delà de celui proposé par la culture japonaise.
Revenons donc aux métiers d’art et au design, qui reconnaissent la force et l’importance du geste dans ce qu’il exprime d’humain, dans ce qu’il exprime au travers de son imperfection.
Pour comprendre l’enjeu de cette notion – l’imperfection –, reprenons la notion de perfection et de ce que nous en dit Yanagi Soetsu14. Il la décrit comme une fermeture puisqu’il n’y a plus rien à changer. C’est parfait ! Elle est statique et finale, sans horizon de transformation possible. La fin de l’histoire. L’absence de liberté. À elle s’oppose l’imperfection, qui invite au changement, à une possibilité de transformation, et donc à une forme de liberté. Mais Yanagi ne se satisfait toutefois pas de cette forme de liberté, qui est en fait l’obligée de l’imperfection, elle-même posée par opposition à la perfection. Il nous invite alors à dépasser cette dichotomie affirmant que ce qu’il appelle la « beauté vraie » (奇数の美 – kisuu-no-bi) est dans une totalité non-dualistique – nous évoluons ici dans une pensée bouddhiste. Il suggère alors que cette beauté émerge de ce qu’il appelle l’irrégularité (歪み – yugami), lorsque l’imperfection s’identifie à la perfection et qu’il « demeure quelque chose d’inexpliqué » (不定形 – futei-kei). Yanagi l’exprime ainsi14 : « L’amour de l’irrégulier est le signe d’une quête fondamentale de liberté ».
3.3.1 Le geste Une telle irrégularité peut être l’expression du geste, celui de l’artisan d’art par exemple. Mais il nous faut penser également l’outil et l’usage, autres moments d’interaction et d’appropriation.
3.3.2 L’outil Hamada Shōji, grand céramiste japonais devenu Trésor national vivant en 1955, avait un four capable de contenir environ dix mille pots. Quand il lui a été demandé le besoin d’un tel four, il a répondu qu’il serait en mesure de contrôler complètement un four de plus petite taille, et qu’il en serait alors le maître et le contrôleur. Avec ce grand four, le « pouvoir individuel » s’affaiblit si bien qu’il ne peut pas maîtriser le four, et que ce qu’on avait appelé le « pouvoir au-delà » est nécessaire pour obtenir une bonne pièce16. Il veut donc travailler avec une grâce venant de ce pouvoir au-delà, et non vers une perfection que sa maîtrise imposerait.
Cette idée de pouvoir au-delà et d’irrégularité, chère à la beauté et à l’éthique exprimée par Yanagi, se retrouve également dans le travail de Minagawa Akira. Minagawa pousse la broderie industrielle aux limites de ses capacités mécaniques, afin de fabriquer des imperfections implanifiables et à priori inattendues, c’est-à-dire une forme d’irrégularités, source d’une beauté unique et poétique. Minagawa nous dit lui-même : « je veux que le tissu transmette la sensation que j’expérimente moi-même lorsque je fais des croquis. Les motifs brodés que je crée n’utilisent pas seulement le fil pour coudre le motif, ils réalisent un relief en trois dimensions par chevauchement des points de couture les uns sur les autres, perçant le tissu aléatoirement tout en restant fidèles à la lumière et à l’ombre de mon ébauche originale. Cette façon de faire de la broderie sans règle fixe donne la sensation de lignes dessinées à la main. »
Chez Minagawa, comme chez Hamada, c’est le couple designer-outil qui rend possible cette irrégularité en tant que nouvel artisan inscrit à la fois dans une tradition (céramique ou textile) et dans l’ingénierie industrielle.
Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion d’explorer encore cette relation designer-outil au cours d’un projet avec l’un des étudiants, Yamada Shigeru, que j’accompagnais pour son diplôme de master à l’Université de Technologie d’Eindhoven. Nous avons fabriqué des objets de la cérémonie du thé japonaise en impression 3D basée sur des modèles paramétriques. Il s’agissait pour nous de travailler sur la vitesse d’impression de la machine pour que sur celle-ci s’associe avec un pouvoir au-delà. Ces objets ont été imprimés à la vitesse standard, puis 2, 3, 4, 6 fois plus vite. L’évaluation faite par plusieurs maîtres du thé nous a permis de conclure que l’objet imprimé à une vitesse d’impressions doublée rendait justement une esthétique de l’irrégularité appréciée par ces maîtres du thé17.
3.3.3 L’usage Mais cette irrégularité, si elle offre la liberté et la possibilité de transformation, doit également se manifester dans l’expérience de l’utilisateur. Sans cela, le quotidien serait un vécu sans étonnement, sans possibilité de changement et donc sans liberté. Pour que le quotidien vaille la peine, il faut que ce que le philosophe Bruce Bégout appelle le processus de quotidianisation18 soit accompagné d’irrégularités se logeant dans l’habituel ou dans l’attendu, ce que George Pérec appelle l’endotique19. Et alors le quotidien devient un moment en évolution permanente, et un espace d’imagination, de création et de liberté.
Si l’on s’intéresse à l’irrégularité dans l’usage au quotidien, nous vient alors trois concepts que je n’aurai malheureusement pas le temps de développer aujourd’hui, au travers desquels nous pouvons observer cette irrégularité :
dans la qualité structurelle et physique de l’objet, nous parlerons de micro-considération, concept proposé par le designer Fukusawa Naoto20 ; dans ses qualités interactionnelles, nous parlerons de micro-friction, concept proposé par la professeure en design et interaction homme-machine Anna Cox21 ;- et dans ses qualités expérientielles, nous parlerons de détails (es)sentiels22, concept que j’ai développé conjointement avec Eva Deckers et Michael Restrepo il y a une dizaine d’années. 3.4 Le moment du design, le moment de l’usage Il y a donc deux moments dans lesquels l’irrégularité peut offrir des opportunités de transformation : le moment du design et celui de l’appropriation. Et c’est sur ces deux notions que je voudrais conclure cette réflexion sur le design.
3.4.1 Le moment du design Ces deux moments donc, celui du design et celui de l’appropriation sont des moments de création. Et l’artefact, proposé puis approprié, fait lien entre ces deux moments. Pour le design, c’est donc un rôle essentiel, social et humaniste que de proposer les conditions pour la création au sein de l’usage, c’est-à-dire pour l’appropriation.
La position que je prends dans les projets et dans la recherche est de défendre et structurer cette idée précise selon laquelle le designer doit penser l’humain essentiellement par sa capacité d’appropriation et de création de son environnement, et par sa capacité de réflexion et de prise de décision responsable. Chose qui n’est pas triviale et pas toujours partagée quand on entend ce qui est prescrit suite à des « tests utilisateurs » ou sous le nom parfois malheureux de « bonne pratique utilisateur ».
Pour cela il faut deux choses. L’une a déjà été longuement discutée. Il s’agit bien sûr de l’irrégularité qui permet la réflexivité et le choix. L’autre est ce que j’appelle le vide artéfactuel, concept également inspiré de la philosophie japonaise, qui dénote l’espace d’opportunités offert à l’utilisateur. Le vide artéfactuel correspond donc à l’idée que l’artefact se doit d’ouvrir des possibilités d’appropriation, qu’il médiatisera via l’irrégularité. C’est dans ce vide artéfactuel que l’appropriation prend forme.
Fidèle à l’histoire du design et des métiers d’art, la chaire revendiquera avec force cette proposition sociétale de ses pratiques et de leur production. Cette proposition se fonde sur les considérations premières de la capacité que chacun a de créer, de la nécessité d’un collectif et d’une tradition toujours en évolution pour avancer ensemble, et d’un impératif catégorique jonassien d’une vie sociale, écologique et responsable23.
Consciente de produire et de disséminer des propositions dans un contexte complexe et au travers d’une pratique toujours en instabilité durable, la chaire continuera sans relâche à garder sa production ouverte au questionnement de tous, à commencer par elle-même.
3.4.2 En pratique En pratique, il s’agira d’abord de clarifier davantage le rôle et la manière du design dans le moment de sa propre pratique, hors et pourtant lié à celui du quotidien. Cet effort amènera à poser une pratique réflexive du design, et d’en questionner les implications anthropologiques, humanistes, sociales, écologiques, politiques et philosophiques.
4 Programme //où la chaire entend devenir un acteur sociétal par le design, pour la formation, la recherche, et l’engagement social
Maintenant que nous nous sommes positionnés sur la pratique du design, il ne nous reste plus qu’à souligner les éléments programmatiques de la chaire.
Au sein du CNAM, la chaire met en avant des démarches de formation et de recherche au travers du design, des métiers d’arts et de la culture. Elle a pour ambition de créer et développer des collaborations en formation, en recherche et en projet au sein du CNAM et hors du CNAM, en France, en Europe et à l’international. Elle ambitionne donc d’être une actrice d’un écosystème qui dépasse le CNAM et qui dépasse le design, et qui prendra pour horizon la possibilité d’une transformation sociétale du quotidien, au travers de celle des pratiques du design et des métiers d’arts.
La chaire dialogue avec de nombreuses institutions de formation, et s’inscrit entre autres dans la dynamique du Campus des Métiers d’Arts et du Design. Une des visions majeures portées par la chaire tend à la confirmation d’un continuum possible tout au long de la formation initiale des métiers d’arts et du design, du CAP au doctorat, et de la formation tout au long de la vie. Une attention particulière à ce sujet, et chère à mes yeux, est portée sur l’idée fondamentale et très CNAMienne qu’il faut apprendre à apprendre.
La chaire contribue à la recherche en design et dans les métiers d’art, de la culture et de la création, à l’intersection de considérations épistémologiques, artisanales et industrielles, sociétales et écologiques. Cette recherche est située et engagée au travers de la pratique. La chaire propose donc et promeut une recherche au travers de la pratique, c’est-à-dire une recherche impliquant la pratique dans l’activité de recherche, et non pas attenante à la recherche. Elle invite à des approches pragmatiques, basées sur une pratique réflexive10.
La chaire s’engage de plus dans des projets dont l’apport sociétal est clair. Historiquement, les propositions du design ont toujours contenu une dimension politique, et la chaire entend porter cette considération au centre de ses questionnements et de ses travaux.
Enfin, la chaire se veut constructivement provocatrice. Tout en questionnant et proposant des possibilités de transformations sociétales par les pratiques, elle s’attache à questionner ses propres questionnements, ses propres propositions et ses propres pratiques.
5 Aedh Wishes for the Cloths of Heaven Pour finir, je voudrais consacrer ce dernier moment pour remercier mes professeurs et collègues, ceux qui m’ont permis de m’inscrire petit à petit dans une tradition qui je crois a été décrite tout au long de cette leçon. C’est dans le cadre de cette tradition que j’ai évolué et grâce à laquelle je me tiens devant vous aujourd’hui. Et cette tradition s’exprime le mieux, je pense, par un poème de William Butler Yeat24. Je le reprends aujourd’hui, car il est devenu progressivement à la fois le symbole et l’expression de cette tradition pour nombre d’entre nous, et c’est profondément mon vœu que de pouvoir continuer à faire avancer cette tradition au travers de la Chaire de design Jean Prouvé.
Had I the heavens’ embroidered cloths,
Enwrought with golden and silver light,
The blue and the dim and the dark cloths
Of night and light and the half light,
I would spread the cloths under your feet:
But I, being poor, have only my dreams;
I have spread my dreams under your feet;
Tread softly because you tread on my dreams.
Si j’avais les voiles brodés du ciel,
Ouvrés de lumière d’or et d’argent,
Les voiles bleus et pâles et sombres
De la nuit, de la lumière, de la pénombre,
Je les déroulerais sous tes pas.
Mais moi qui suis pauvre et n’ai que mes rêves;
Sous tes pas je les ai déroulés;
Marche doucement, car tu marches sur mes rêves.
Je vous remercie.
6. Bibliographie Peters, N. Prouvé. (Taschen, 2017). Hancock, T. & Bezold, C. Possible futures, preferable futures. Healthc. Forum J. 37, 23—29 (1994). Blackler, A. et al. Can We Define Design? Analyzing Twenty Years of Debate on a Large Email Discussion List. She Ji J. Des. Econ. Innov. 7, 41—70 (2021). Redström, J. Making design theory. (MIT Press, 2017). Lévy, P. Le temps de l’expérience, enchanter le quotidien par le design. (Université de Technologie de Compiègne, France, 2018). Lévy, P. Designing for the everyday through thusness and irregularity. in Proceedings of the International Association of Societies of Design Research Conference 2019, IASDR19 (Manchester Metropolitan University, 2019). Trotto, A. et al. Designing for Transforming Practices: Maps and Journeys. (Technische Universiteit Eindhoven, 2021). Sennett, R. Ce que sait la main: la culture de l’artisanat. (Albin Michel, 2010). Overbeeke, K. The aesthetics of the Impossible. Inaugural Lecture (Eindhoven University of Technology, 2007). Schön, D. A. The Reflective Practitioner: How Professionals Think In Action. (Basic Books, 1984). Dōgen. La présence au monde. (Le Promeneur, 1999). Arendt, H. Condition de l’homme moderne. (Librairie générale française, 2020). dix—milliards—humains. dix—milliards—humains. dix—milliards—humains https://dix-milliards-humains.com/fr (2021). Yanagi, S. Artisan et inconnu, perception de la beauté dans l’esthétique japonaise. (Langues Et Mondes L’asiathèque, 1992). Stevens, B. Invitation à la philosophie japonaise: autour de Nishida. (CNRS, 2005). Yanagi, S. The Responsibility Of The Craftsman: And Mystery Of Beauty. (Literary Licensing, LLC, 2013). Lévy, P. & Yamada, S. 3D-modeling and 3D-printing Explorations on Japanese Tea Ceremony Utensils. in Proceedings of the Eleventh International Conference on Tangible, Embedded, and Embodied Interaction - TEI'17 283—288 (ACM Press, 2017). doi:10.1145/3024969.3024990. Bégout, B. La découverte du quotidien. (Éditions Allia, 2005). Perec, G. L’infra-ordinaire. (Seuil, 1989). Fukasawa, N. Micro consideration. MUJI無印良品: 無印良品とクリエイター (2015). Cox, A. L., Gould, S. J. J., Cecchinato, M. E., Iacovides, I. & Renfree, I. Design Frictions for Mindful Interactions: The Case for Microboundaries. in Proceedings of the 2016 CHI Conference Extended Abstracts on Human Factors in Computing Systems 1389—1397 (ACM, 2016). doi:10.1145/2851581.2892410. Lévy, P., Deckers, E. & Restrepo, M. C. When Movement Invites to Experience: a Kansei Design Exploration on Senses’ Qualities. in Proceedings of the International Conference on Kansei Engineering and Emotion Research, KEER 2012 366—372 (National Cheng Kung University, 2012). Jonas, H. Le principe responsabilité une éthique pour la civilisation technologique. (Flammarion, 1998). Yeats, W. B. La Rose et autres poèmes. (Seuil, 2008). 2022-05-18 10:30:52 +0200 CEST
Événement
18 mai 2022
Leçon inaugurale de la Chaire de design Jean Prouvéevents Séminaire les Médiums en design, pour une anthropologie symétrique du design – 2022 Le séminaire « les Médiums en design » est co-animé par CY Design Research, Dicen-IDF et la chaire Design Jean Prouvé du CNAM. Il invite les membres de la communauté de recherche en design à contribuer à la compréhension du design comme éco-système fait d’humains et de non-humains, de vivants et de non-vivants structurant et structuré par les pratiques et les réalisations.
Design ? une conversation avec des matériaux Dans les années 80, les recherches en design ont amorcé un tournant qui a remis en scène la matérialité des pratiques du design. Parmi les fondateurs de cette recherche, Donald Schön (1992) parle de l’activité du designer comme d’une « conversation avec les matériaux » : pour lui les matériaux sont aussi bien des mots, des paroles avec lesquelles on joue et sur lesquelles on revient, que des dessins qui permettent de préfigurer les architectures ou objets à venir.
Agentivité des mediums du design et pratiques incarnées La recherche en design s’est aussi inspirée pour une bonne part des anthropologues des cultures matérielles (Knappett & Malafouris, 2008; Ingold, 2007) qui attirent l’attention sur ce que le medium fait au designer et s’intéressent aux pratiques incarnées du design.
Propriétés physiques mais aussi sociales et culturelles Ces recherches aujourd’hui rencontrent les media studies aussi bien anglo-saxonnes (McLuhan, 1965; Mitchell & Hansen, 2010; Hayles, 2004) mais aussi la philosophie Allemande des médias (Kittler et al., 2018; Mersch et al., 2018)) et les recherches francophones en SIC (Jeanneret, 2000; Bonaccorsi & Flon, 2014)).
En effet, depuis le fameux « le medium est le message », on se rend compte à quel point le support n’est pas transparent derrière le message, ou pour le dire en termes de sémiotique (Fontanille, 2015) le plan de l’expression ne disparaît par derrière le plan du contenu. Même le numérique présente une matérialité sensible qu’il faut prendre en considération. En France, ce sont les historiens du livre (Chartier et al., 2001), de l’écriture (Christin, 2009) et des chercheurs en sciences de l’information et de la communication (Jeanneret, 2008) qui ont compris l’importance de revenir sur les incarnations, les métamorphoses, les légitimations, et les circulations de ce qui fait médiation entre notre réalité psychique et le monde extérieur, aussi bien que ce qui fait lien entre nous.
Médiation et médialité Plus largement encore, c’est une théorie de la médialité qui rencontre les théories du design : en effet, pour changer le monde, il ne faut pas être complètement pris dans ce monde. Il nous faut un entre deux, des espaces et des objets de médiation, qui permettent à la fois de relier et de mettre à distance pour composer et recomposer des alternatives à ce qui nous entoure (Guillory, 2010; Gentes, 2017).
Une histoire des médiums Ainsi, les recherches centrées sur les médiums du design s’intéressent non seulement à l’agentivité des matériaux mais aussi à la façon dont le designer fait sens avec les matières qui s’inscrivent dans une culture et une histoire de leurs mises en œuvre (Greenberg, 1971). Le bois par exemple ne présente pas que des propriétés chimiques et mécaniques, il s’inscrit aussi dans une culture du bois : les valeurs sociales qui lui sont associées, et dans les traditions de son utilisation : pour des objets utilitaires mais aussi pour des sculptures.
Le rôle des mediums et la relation qui est entretenu entre le designer et ces mediums évoluent de plus dans la temporalité du projet et dans celle de l’usage (Levy, 2020). D’un côté, la variété et la pluralité des fonctions du prototype au sein du projet en fait un medium au cœur du déploiement du projet. De l’autre côté, l’appropriation est un moment d’évolution du sens.
Quels médiums pour le design d’aujourd’hui ? Aujourd’hui, le design ne traite plus seulement du bois ou du plastique, mais du vivant, de nos modalités d’être ensemble, et des technologies qui organisent notre vie. De la terre à l’IA, il y a plus d’un pas et pour les designers contemporains des enjeux colossaux. Quelles sont les caractéristiques de ces nouveaux matériaux du design ? Quelles sont les méthodes de travail de ces nouveaux médiums ? Comment former à ces nouveaux matériaux du design ?
Le séminaire « les médiums en design » invite ceux qui se questionnent sur leurs pratiques, qui s’interrogent sur leurs méthodes à rejoindre la communauté de recherche formée par CY Design Research, Dicen-IDF et la chaire Design Jean Prouvé CNAM pour échanger sur ces questions.
La revue Sciences du design est associée à ce travail : nous proposerons aux auteurs qui ont abordé ces questions de faire une présentation de leur article.
Bibliographie Bonaccorsi, J., & Flon, É. (2014). La « variation » médiatique: D’un fondamental sémiotique à un enjeu d’innovation industrielle. Les Enjeux de l’information et de la communication, n° 15/2(2), 3–10.
Chartier, R., Collectif, & Cavallo, G. (2001). Histoire de la lecture dans le monde occidental (Édition : [Ed. augm. d’une bibliogr. rev. et augm.]). Seuil.
Christin, A.-M. (2009). L’Image écrite ou La déraison graphique (Enlarged édition). Flammarion.
Fontanille, J. (2015). Formes de vie. Presses universitaires de Liège. https://doi.org/10.4000/books.pulg.2207
Gentes, A. (2017). The In-Discipline of Design: Bridging the Gap Between Humanities and Engineering (1st ed. 2017 edition). Springer.
Greenberg, C. (1971). Art and Culture: Critical Essays. Beacon Press.
Guillory, J. (2010). Genesis of the Media Concept. Critical Inquiry, 36(2), 321–362. https://doi.org/10.1086/648528
Hayles, N. K. (2004). Print Is Flat, Code Is Deep: The Importance of Media-Specific Analysis. Poetics Today, 25(1), 67–90.
Ingold, T. (2007). Materials against materiality. Archaeological Dialogues, 14(1), 1–16. https://doi.org/10.1017/S1380203807002127
Jeanneret, Y. (2000). Y a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? Presses Universitaires du Septentrion.
Jeanneret, Y. (2008). Penser la trivialité: Volume 1, La vie triviale des êtres culturels. Hermes Science Publications.
Kittler, F., Guez, E., & Alloa, E. (2018). Gramophone, film, typewriter (F. Vargoz, Trans.; Illustrated édition). Les Presses du réel.
Knappett, C., & Malafouris, L. (Eds.). (2008). Material Agency: Towards a Non-Anthropocentric Approach. Springer US. https://doi.org/10.1007/978-0-387-74711-8
Levy, P. (2020). Artefactual emptiness: On appropriation in kansei design. Proceedings of the Kansei Engineering and Emotion Research International Conference 2020, KEER2020.
McLuhan, M. (1965). Understanding media: The extensions of man. McGraw-Hill.
Mersch, D., Alloa, E., Baumann, S., & Farah, P. (2018). Théorie des médias: Une introduction. Les Presses du réel.
Mitchell, W. J. T., & Hansen, M. B. N. (Eds.). (2010). Critical Terms for Media Studies (Illustrated edition). University of Chicago Press.
Schon, D. A. (1992). Design as a reflective conversation with the materials of a design situation. Research in Engineering Design, 3, 131–147.
2021-12-11 20:04:12 +0200 +0200
Événement
11 déc. 2021
Médiums en designevents Entre méthodes et pratiques en design - un moment d’apprentissage Pierre Lévy, professeur du CNAM, Chaire Design Jean Prouvé
Je voudrais m’intéresser aujourd’hui à la place des méthodes et des pratiques en design, et décrire leur entre-deux comme un lieu de développement des pratiques, c’est-à-dire comme moment d’apprentissage réflexif sur la pratique.
1. Le design Le premier point d’attention porte sur la notion même de design et la façon dont il est décrit par la propre communauté de recherche en design. Un récent article (Blackler et al., 2021) propose une analyse de vingt ans de discussion sur l’une des listes de diffusion les plus actives et renommées dans le monde (PHD-DESIGN List, n.d.) et portant sur la définition du design. Sa conclusion est comme suit (traduit par l’auteur) :
Malgré un discours robuste autour des perspectives pertinentes sur le design, les discussions de la liste sont et ont été répétitives, sans aucun progrès significatif vers une définition consolidée du design. […] Nous proposons qu’il n’est peut-être pas possible de définir le design de cette manière, et que le domaine devrait s’éloigner de la réitération et discuter de l’importance du rôle du design… (Blackler et al., 2021)
On note déjà que la tentative de définir le design semble inaboutie, et les auteurs de l’article suggèrent que cette tentative est inévitablement vouée à ne jamais aboutir. Le design ne se laisse pas définir et il serait temps de passer à autre chose : au lieu de questionner ce qu’est le design (description de l’état), il semble plus judicieux de questionner le rôle du design (description de l’action).
La résistance du design à la définition semble également être exprimée par Johan Redström (2017) lorsqu’il s’intéresse aux fondations du design (traduit par l’auteur) :
Le design semble fonder son existence sur des complexités issues de dichotomies. De négocier la forme et la function. D’engager l’artisanat et ses compétences, et de travailler avec la production industrielle. De travailler avec des processus ouverts et d’être profondément engagé à la méthode. D’être centré-utilisateur et design-driven. D’être art et science. […]
Et le design peut aussi être remarquablement résilient et désireux de s’engager à tout cela, ce qui n’est ni blanc ou noir, mais complexe et coloré. […]
La raison pour laquelle on apprécie tellement les dichotomies en design est parce qu’elle permet d’adresser le conflit, la collision, et les contradictions, et d’ouvrir ainsi de nouvelles perspectives et potentiels.
Ce que nous dit Redström est que l’on peut trouver la force du design (certains disent le pouvoir du design, nous dirons sa capacité d’action) au sein des dichotomies. C’est en effet dans la collision, la contradiction ou l’irrégularité (Lévy, 2018, 2019) que des opportunités nouvelles se créent et que des transformations sont possibles. Dans un entendement commun et global, c’est-à-dire sans friction, la transformation est bien moins probable.
La première conclusion est donc ainsi : Le design est insaisissable, et c’est plutôt une bonne nouvelle ! La pratique réflexive ainsi que l’acceptation de plusieurs perspectives et de dichotomies semblent donc pertinentes pour le design.
2. Méthodes et activités Les méthodes en design sont essentielles pour la formalisation des processus de conception en design. Elles le sont donc dans l’enseignement puisqu’elles permettent de clarifier un cadre pour le projet et à l’apprenant d’appréhender des complexités précédemment discutées. Elles le sont dans la pratique professionnelle à la fois pour la gestion du projet et pour la communication du et autour du projet.
Toutefois, les méthodes existantes, et nous prenons ici pour exemples le double diamant proposé par le Design Council (2019) et le Model MV proposé par Kees Dorst (2015), semblent s’attacher à une séquence ordonnée d’activités prédéfinies, séquence souvent contredite par la pratique.
La pratique peut être plus fidèlement décrite par les actions situées qui la constituent. C’est ce que propose le Reflective Transformative Design Process (C. Hummels & Frens, 2009) qui propose une perspective effective autant pour la pratique elle-même du design que pour son enseignement. La description d’activités permet de cadrer la pratique sans pour autant imposer un ordre hors contexte. L’expérience montre en effet que le projet doit s’adapter aux ressources accessibles et aux contraintes et opportunités qui se présentent.
De plus, dans une période où le design s’investit de plus en plus dans l’arène sociale et politique, nous avons développé une nouvelle approche, les pratiques transformatives (C. C. M. Hummels et al., 2019), qui justement reprend cette idée de discuter la pratique au travers d’activités tout en incluant des notions liées entre autres à la participation sociale et à la complexité.
Ces approches ne prescrivent ni séquence ni réelle limite aux activités, si bien que la pratique ainsi décrite peut paraitre à la fois déstructurée et omnipotente. Mais c’est justement au travers de l’une des dichotomies proposées par Redström - travailler avec des processus ouverts et d’être profondément engagé à la méthode - qui expose la force de l’association contradictoire formée par la méthode et la pratique, celle d’une activité réflexive possible grâce au delta entre pratique et méthodes, qui invite justement à une réflexion transformative, et donc apprenante, de la pratique du design.
C’est donc là la seconde conclusion de ma présentation aujourd’hui : Les méthodes et !es activités forment donc une dichotomie en design. C’est au travers de cette dichotomie que la pratique du design s’établit, au travers d’une réflexion transformative et apprenante de la pratique.
Bibliographie Blackler, A., Swann, L., Chamorro-Koc, M., Mohotti, W. A., Balasubramaniam, T., & Nayak, R. (2021). Can We Define Design? Analyzing Twenty Years of Debate on a Large Email Discussion List. She Ji: The Journal of Design, Economics, and Innovation, 7(1), 41-70. https://doi.org/10.1016/j.sheji.2020.11.004
Design Council. (2019). What is the framework for innovation? Design Council’s evolved Double Diamond. Design Council. https://www.designcouncil.org.uk/news-opinion/what-framework-innovation-design-councils-evolved-double-diamond
Dorst, K. (2015). Frame Innovation: Create New Thinking by Design. MIT Press.
Hummels, C. C. M., Trotto, A., Peeters, J. P. A., Levy, P., Alves Lino, J., & Klooster, S. (2019). Design research and innovation framework for transformative practices. In Strategy for change (pp. 52-76). Glasgow Caledonian University.
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2021-11-18 10:30:52 +0200 +0200
Événement
18 nov. 2021
Entre méthodes et pratiques en design - un moment d'apprentissage